Questionnements sur la fourniture des masques, inutiles au début de l’épidémie de Covid-19 et désormais quasi obligatoires, manque de lits de réanimation bien équipés, résultat de la casse des services publics, notamment de la santé, depuis des décennies, insuffisance de matériel médical de pointe en tout genre pour cause de délocalisation de la production alors que la gestion gouvernementale de la crise sanitaire a tout du fiasco voire de l’incompétence, le président Macron annonçait, le 31 mars, la création d’un « consortium français autour d’Air Liquide, réunissant Valéo, Schneider Electric et PSA ».
Un bel exemple d’unité nationale industrielle capable de produire « d’ici mi-mai 10 000 respirateurs », lesquels sont censés équiper les lits de réanimation supplémentaires promis quelques jours auparavant par le ministre de la Santé, Olivier Véran.
Las, cette belle annonce destinée à redorer quelque peu l’image gouvernementale fait encore long feu. C’est que les respirateurs en question, 8 500 Osiris 3 et 1 500 Monnal T60, ne seraient pas tout à fait, et c’est un euphémisme, ceux que les médecins réanimateurs attendaient.
Matériel inadapté
« Ces respirateurs sont des respirateurs que l’on utilise pour le transport, de manière transitoire aux urgences pour transporter un patient d’un service de réanimation vers un autre service, mais ce sont des modèles anciens complètement inadaptés pour prendre en charge des patients comme ceux atteints par la maladie du Covid-19 qui ont besoin de respirateurs ayant des possibilités de réglage beaucoup plus précis », précise Christophe Prudhomme, médecin urgentiste et membre de la commission exécutive de la fédération Santé et action sociale de la CGT.
Ça reste des respirateurs de transport pour la ventilation du patient pendant un temps limité avant qu’on le mette à ventiler avec un respirateur de qualité.
« C’est écrit noir sur blanc sur le site d’Air Liquide », revient Jérôme Flament, secrétaire général CGT Air Liquide Région parisienne. « Les Osiris 3 sont vendus pour être des respirateurs de transport et pareil pour les Monnal T60, un peu plus évolués. Ce ne sont pas des respirateurs conçus pour de la salle de réanimation longue durée, ça, c’est clair. Ce qui a été fabriqué n’est donc pas utilisable au sens où on l’entend en réanimation lourde. »
« Scandale d’État »
Et la CGT des groupe industriels concernés, elle aussi réunie en « consortium syndical », de demander quelques explications, évoquant même un « scandale d’État ».
C’est que, en plus de leur médiocrité technique par rapport à la demande des hôpitaux, médiocrité d’ailleurs reconnue par Olivier Véran lui-même qui, dans un communiqué publié le 23 avril, admettait que « les 8 500 respirateurs Osiris sont des respirateurs d’urgence et de transport », leur coût atteint les 25,5 millions d’euros, auxquels viennent s’ajouter 4,5 millions d’euros pour les Monnal T60, soit la bagatelle de 30 millions d’euros en tout. Payés par l’État. Donc, le contribuable.
« Des sociétés comme Air Liquide ou Schneider Electric auraient pu investir 30 millions chacune. Cela ne les aurait pas fait boiter et on aurait des produits dignes de ce nom », regrette Fabrice Naud, secrétaire général adjoint CGT Schneider Electric, qui constate amèrement que les seuls effets positifs de ce « gaspillage d’argent » auront été « un gros coup de communication et de publicité » pour le gouvernement et ces entreprises « qui ont vu leur cours grimper en Bourse à la suite de cette annonce ».
Une revendication du Medef satisfaite au passage
Reste que ce n’est pas là la seule interrogation des syndicalistes. Car pour parvenir à relever ce défi, si les industriels ont certes mis leurs compétences en commun, Schneider Electric apportant « sa compétence en méthodes de production », Valéo se chargeant de la « tuyauterie » pendant que PSA assemble le module central, le tout étant « certifié par Air Liquide », ils ont aussi « partagé » certains de leurs employés.
« Avec ce consortium, ils ont créé une espèce de truc qui est une revendication du Medef : pouvoir ouvrir des postes interentreprises. Il ne faudrait pas que cela s’étende et devienne une habitude », s’inquiète Jérôme Flament. « C’est le rêve des patrons depuis très longtemps de libéraliser et d’ubériser le travail. Comment définir demain les branches, les conventions collectives, les classifications, les salaires, les compétences ? »
Et le représentant du collectif syndical de promettre de « rester vigilants sur la suite des opérations jusqu’à la livraison complète des appareils ». Surtout, de « démarrer un travail de réflexion et de propositions politiques et économiques sur la question de l’industrie de santé ». Travail plus que nécessaire selon Jérôme Flament. « Dans une logique de profits maximum on ne peut que faire des choix qui sont au détriment du bon sens. » L’actualité lui donne raison.
Article tiré du magazine la Nouvelle Vie Ouvrière de Mai 2020 – Une publication de la CGT