La Légion d’honneur accordée à un dirigeant du groupe financier BlackRock relance les critiques sur le projet du gouvernement, accusé de pousser les futurs retraités à cotiser dans le privé.
Extraits choisis d’un article du MONDE du 3 janvier 2020 :
La réforme des retraites va-t-elle pousser les Français dans les bras des groupes privés ? C’est en tout cas l’une des critiques récurrentes à l’encontre du projet du gouvernement depuis le début de la contestation, en décembre 2019. Aussi la nomination de Jean-François Cirelli comme officier de la Légion d’honneur par le premier ministre, Edouard Philippe, dans la promotion du 1er janvier n’a-t-elle pas manqué de raviver ce débat.
Ancien haut fonctionnaire, l’intéressé est en effet l’actuel patron de la branche française de BlackRock, un géant américain de la finance. Le groupe plaide régulièrement, comme il l’a fait dans un document de 16 pages publié en juin, pour la mise en place de conditions plus favorables aux régimes de retraites par capitalisation gérés par des intérêts privés, qui viennent s’ajouter au régime par répartition. Et Emmanuel Macron a rencontré son patron, Larry Fink, à l’Elysée le 10 juillet, en compagnie d’autres dirigeants de fonds.
« BlackRock n’est pas un fonds de pension, il ne distribue aucun produit d’épargne retraite et nous n’avons pas l’intention de le faire », s’est défendu Jean-François Cirelli auprès de l’Agence France-Presse (AFP), jeudi 2 janvier. Le patron de la branche française du groupe assure n’avoir pas « cherché à influencer le gouvernement ».
Alors, faut-il voir la main des fonds privés derrière la réforme des retraites ?
Bon nombre d’opposants à la réforme prêtent au gouvernement l’intention d’affaiblir le système par répartition. « Ce qu’ils font, c’est qu’ils réduisent au minimum » la solidarité, jugeait ainsi la députée de La France insoumise Danièle Obono sur Sud Radio, jeudi. Selon elle, la majorité des pensions vont baisser, détournant les Français du système de retraite classique :
Que vont faire les gens ? Très mécaniquement, ils vont essayer de se constituer leur propre retraite. Non, ils ne sont pas en train de détruire le système, ils le vident de sa substance.
Plusieurs éléments plaident en faveur de Danièle Obono lorsqu’elle affirme que « cette réforme encourage la capitalisation ». C’est d’abord le cas pour les plus fortunés. La réforme prévoit que les revenus au-delà de 120 000 euros par an ne donnent pas de droit à la retraite et ne soient soumis qu’à un taux de 2,81 % de cotisations, utilisées pour contribuer à l’équilibre du système. Dans le système actuel, le plafond est plus élevé : il est fixé à 324 000 euros annuels pour les complémentaires du privé.
Résultat, les salariés très aisés seraient encouragés à se tourner vers des régimes de retraite supplémentaire par capitalisation pour maintenir leur niveau de vie. Ce n’est pas le premier geste du gouvernement dans ce sens : certaines dispositions de la loi Pacte promulguée en 2019 les y encourageaient d’ailleurs déjà. Le député Les Républicains Olivier Marleix dénonçait récemment dans Libération « une américanisation de la protection sociale pour les cadres supérieurs ».
Au-delà des riches, le régime par points crée une plus forte incertitude sur le montant des futures pensions de retraite, puisqu’il dépendra de la valeur du point de retraite, amenée à évoluer. Il devrait être indexé sur les salaires, mais rien ne garantit que cette consigne, ni même la « règle d’or » selon laquelle les retraites ne pourraient jamais baisser en valeur, soit respectées à long terme. Cette incertitude pourrait donc encourager les Français à se tourner vers des alternatives.
Cette perte de confiance existe cependant déjà dans le régime actuel. Soixante-neuf pour cent des personnes interrogées dans le cadre d’un sondage Odoxa-Apeci-Les Echos publié en octobre jugeaient que le système en vigueur ne permet pas de bénéficier d’une « retraite correcte ».
Malgré cela, les retraites supplémentaires adossées à des fonds privés restent marginales pour l’heure en France. Elles ne correspondaient qu’à 6,6 milliards d’euros versés en 2017 selon le rapport « Les Retraités et les retraites 2019 » du service de statistiques du ministère des solidarités et de la santé. Soit 2 % des 320 milliards de dépenses annuelles du système de retraite. Sans forcément basculer à un régime intégralement par capitalisation à terme, cette proportion pourrait bien augmenter à l’avenir, notamment du fait de la réforme.